Carole, 42 ans, est envoyée par sa gynécologue : plus que tout au monde, elle désire un enfant, le porter dans son corps, sentir cette vie grandir à l’intérieur d’elle. Mais toute grossesse est aujourd’hui rendue impossible par ce vaginisme qui s’est développé depuis une IVG pratiquée il y a cinq ans. Carole ne peut plus être pénétrée par son mari, son corps accepte très difficilement et très douloureusement les examens gynécologiques. Sur les conseils de son médecin, elle envisage de recourir à la procréation médicalement assistée.
HISTOIRE CLINIQUE
Cette grossesse, ils l’ont désirée ensemble après cinq années de lien fort et fusionnel. Carole est en rupture familiale depuis longtemps et Philippe est son essentiel. Pourtant, tout bascule le jour de l’échographie du 1er trimestre : c’est un garçon. Philippe panique littéralement. Il est sûr que ce fils, comme lui, souffrira de bégaiement et sera l’objet de moqueries. Il demande à Carole d’avorter par amour pour lui. Pire, il met en balance le lien couple et Carole est sommée de choisir entre le père et l’enfant. Carole, terrassée, tente de mener sa réflexion, mais le temps lui est compté : le délai légal pour pratiquer une IVG en France est dépassé. Elle ne peut envisager de se retrouver seule, sans Philippe à ses côtés. « Je l’aime plus que tout », dit-elle.
A plus de 4 mois de grossesse, elle prend le chemin de l’Espagne et avorte entourée d’individus qui ne parlent pas un mot de français. Philippe n’a pas été
autorisé à l’accompagner. Pendant l’intervention, le col refuse de s’ouvrir. Son corps reste fermé. Déjà. « Il a fallu insister. » Au retour d’Espagne, Philippe la demande en mariage. Elle accepte. Carole décrit leur entente comme bonne, en dépit de quelques heurts du quotidien où elle se met en colère contre lui. La sexualité est toujours possible, mais aucune pénétration vaginale n’est plus jamais tentée, tant la douleur est immense à chaque essai. Pourtant le désir d’enfant est réapparu doucement. Philippe dit avoir maturé à ce sujet et accepter de devenir père, quel que soit le sexe de l’enfant à venir. Mais à 42 ans, il faut faire vite et c’est l’urgence de l’âge limite d’entrée en PMA qui la fait consulter aujourd’hui.
***
LA DEMANDE
Elle me demande de l’aider à ouvrir ce corps aux médecins pour atteindre son objectif : être mère. Cette demande, excluant tout accès de son mari à son vagin, ne laisse pas de me surprendre. Je me tais pourtant, et j’attends la suite. Carole m’explique alors le contexte de son IVG.
***
BASES THÉORICO-PRATIQUES
Quels sont les processus qui amènent une femme à fermer la porte de son corps ? Les parcours sont nombreux, les histoires toutes singulières. Bien souvent, le vaginisme est primaire, présent dès le début de la vie sexuelle. Il est alors courant de lui trouver une étiologie phobique (peur de la pénétration, avec des représentations erronées des organes sexuels) ou fusionnelle (immaturité psycho-affective dans un lien exclusif à la mère). Et puis le vaginisme peut être secondaire à un événement de vie. Il paraît évident alors que ce langage corporel prend le relais de ce que l’esprit ne peut concevoir et/ou élaborer.
Selon Harrison (1996), « le vaginisme n’est pas un défaut physique, ni une maladie. C’est un état émotionnel dans lequel les causes psychologiques se
manifestent par une réponse physique ». Activité relationnelle par excellence, la sexualité est un champ d’expression courant de la symptomatologie psychosomatique où le corps devient lieu d’expression des émotions. Le symptôme sexuel est alors « l’expression de l’impasse relationnelle dans laquelle le couple s’enferre par une intimité désormais rendue impossible ». (Mignot, 2013).
Les psychanalystes Marty, De M’Uzan et David ont développé en 1963 une théorie rendant compte des troubles psychosomatiques : la pensée opératoire. La pensée opératoire désigne un mode de fonctionnement mental qui repose uniquement sur le factuel et le concret. Dans ce mode de pensée, il n’y a pas d’accès à la fonction fantasmatique, qui seule, autorise le recul et la mise en symboles. Le sujet subit la réalité en l’absence d’un vécu subjectif de souffrance. La plainte est absente, le corps anesthésié : à la disparition du plaisir et des affects répondent l’apparition de la douleur et l’expression par le corps. Ces auteurs nomment une dépression dite « essentielle », sans substrats cognitifs conscients, en réponse à un traumatisme indicible à la source de la désorganisation somatique.
Pour Bardot (2009), il s’agit de repenser la psychopathologie du traumatisme sur un mode relationnel et interactionnel. S’appuyant notamment sur les théories de l’attachement de Bowlby et de l’intersubjectivité de Stern, il établit que le traumatisme est la conséquence d’une remise en cause des trois croyances de
base construites par tout être humain :
• capacité à agir un monde sécure ;
• validation de ce monde sécure par la reconnaissance du tiers ;
• sens de la vie : cohérence du monde avec son vécu.
Lorsque la cohérence entre ces trois croyances est altérée, le vécu de détresse entre dans une boucle de réactivation dysfonctionnelle. Bardot définit ensuite trois processus à l’oeuvre dans le psychotraumatisme :
• l’envahissement dans le monde du sujet ;
• la perte de contrôle impliquant l’inhibition de l’action ;
• la perte de reconnaissance avec absence de soutien.
Dans ce dernier processus, c’est toute la question de la relation à l’autre qui est interrogée. Selon Bardot, ce troisième processus active les traumatismes les plus sévères, par l’acte subi et par la perte de sécurité.
***
CHOIX DE PISTES CLINIQUES
Carole est bien la rescapée d’un vécu traumatique : confrontée à un événement ayant entraîné la mort, en proie à une peur intense et à un sentiment d’impuissance, elle a pu développer cet évitement de la pénétration dans une tentative de solution face au syndrome de répétition présent dans les états de stress posttraumatique. Cette « mémoire traumatique » est une conséquence de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui se développent face à un vécu de détresse intense : la sur-sollicitation de l’amygdale (adrénaline, cortisol) entraînant un risque vital pour l’individu, le cerveau déclenche alors une anesthésie du système émotionnel, afin de préserver l’organisme.
Cependant, cette déconnexion de l’amygdale développe un état de dissociation qui perdure et une incapacité de la mémoire autobiographique à traiter l’information. C’est chargé de l’intensité de l’émotion initiale que le souvenir réapparaît alors de manière impromptue et inévitable. La seule façon de ne pas
réactiver la mémoire traumatique est d’éviter toute situation susceptible de faire le lien avec la situation traumatique (Salmona, 2013).
L’étiologie relationnelle du vaginisme de Carole m’apparaissait évidente, même si elle était déniée dans son discours. Carole reconnaissait cependant facilement l’aspect traumatique de l’IVG, dont chaque évocation provoquait pleurs et oppression respiratoire. Face à la fonction défensive de cette fermeture vaginale, il me paraissait indispensable de tenter une réparation psychique avant toute intervention comportementale sexologique pure. Je lui ai donc proposé de travailler ce traumatisme via l’outil développé par Eric Bardot et ses collègues de l’Institut Milton Erickson de Nantes : l’HTSMA (Hypnose thérapie stratégique et mouvements alternatifs).
HISTOIRE CLINIQUE
Cette grossesse, ils l’ont désirée ensemble après cinq années de lien fort et fusionnel. Carole est en rupture familiale depuis longtemps et Philippe est son essentiel. Pourtant, tout bascule le jour de l’échographie du 1er trimestre : c’est un garçon. Philippe panique littéralement. Il est sûr que ce fils, comme lui, souffrira de bégaiement et sera l’objet de moqueries. Il demande à Carole d’avorter par amour pour lui. Pire, il met en balance le lien couple et Carole est sommée de choisir entre le père et l’enfant. Carole, terrassée, tente de mener sa réflexion, mais le temps lui est compté : le délai légal pour pratiquer une IVG en France est dépassé. Elle ne peut envisager de se retrouver seule, sans Philippe à ses côtés. « Je l’aime plus que tout », dit-elle.
A plus de 4 mois de grossesse, elle prend le chemin de l’Espagne et avorte entourée d’individus qui ne parlent pas un mot de français. Philippe n’a pas été
autorisé à l’accompagner. Pendant l’intervention, le col refuse de s’ouvrir. Son corps reste fermé. Déjà. « Il a fallu insister. » Au retour d’Espagne, Philippe la demande en mariage. Elle accepte. Carole décrit leur entente comme bonne, en dépit de quelques heurts du quotidien où elle se met en colère contre lui. La sexualité est toujours possible, mais aucune pénétration vaginale n’est plus jamais tentée, tant la douleur est immense à chaque essai. Pourtant le désir d’enfant est réapparu doucement. Philippe dit avoir maturé à ce sujet et accepter de devenir père, quel que soit le sexe de l’enfant à venir. Mais à 42 ans, il faut faire vite et c’est l’urgence de l’âge limite d’entrée en PMA qui la fait consulter aujourd’hui.
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LA DEMANDE
Elle me demande de l’aider à ouvrir ce corps aux médecins pour atteindre son objectif : être mère. Cette demande, excluant tout accès de son mari à son vagin, ne laisse pas de me surprendre. Je me tais pourtant, et j’attends la suite. Carole m’explique alors le contexte de son IVG.
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BASES THÉORICO-PRATIQUES
Quels sont les processus qui amènent une femme à fermer la porte de son corps ? Les parcours sont nombreux, les histoires toutes singulières. Bien souvent, le vaginisme est primaire, présent dès le début de la vie sexuelle. Il est alors courant de lui trouver une étiologie phobique (peur de la pénétration, avec des représentations erronées des organes sexuels) ou fusionnelle (immaturité psycho-affective dans un lien exclusif à la mère). Et puis le vaginisme peut être secondaire à un événement de vie. Il paraît évident alors que ce langage corporel prend le relais de ce que l’esprit ne peut concevoir et/ou élaborer.
Selon Harrison (1996), « le vaginisme n’est pas un défaut physique, ni une maladie. C’est un état émotionnel dans lequel les causes psychologiques se
manifestent par une réponse physique ». Activité relationnelle par excellence, la sexualité est un champ d’expression courant de la symptomatologie psychosomatique où le corps devient lieu d’expression des émotions. Le symptôme sexuel est alors « l’expression de l’impasse relationnelle dans laquelle le couple s’enferre par une intimité désormais rendue impossible ». (Mignot, 2013).
Les psychanalystes Marty, De M’Uzan et David ont développé en 1963 une théorie rendant compte des troubles psychosomatiques : la pensée opératoire. La pensée opératoire désigne un mode de fonctionnement mental qui repose uniquement sur le factuel et le concret. Dans ce mode de pensée, il n’y a pas d’accès à la fonction fantasmatique, qui seule, autorise le recul et la mise en symboles. Le sujet subit la réalité en l’absence d’un vécu subjectif de souffrance. La plainte est absente, le corps anesthésié : à la disparition du plaisir et des affects répondent l’apparition de la douleur et l’expression par le corps. Ces auteurs nomment une dépression dite « essentielle », sans substrats cognitifs conscients, en réponse à un traumatisme indicible à la source de la désorganisation somatique.
Pour Bardot (2009), il s’agit de repenser la psychopathologie du traumatisme sur un mode relationnel et interactionnel. S’appuyant notamment sur les théories de l’attachement de Bowlby et de l’intersubjectivité de Stern, il établit que le traumatisme est la conséquence d’une remise en cause des trois croyances de
base construites par tout être humain :
• capacité à agir un monde sécure ;
• validation de ce monde sécure par la reconnaissance du tiers ;
• sens de la vie : cohérence du monde avec son vécu.
Lorsque la cohérence entre ces trois croyances est altérée, le vécu de détresse entre dans une boucle de réactivation dysfonctionnelle. Bardot définit ensuite trois processus à l’oeuvre dans le psychotraumatisme :
• l’envahissement dans le monde du sujet ;
• la perte de contrôle impliquant l’inhibition de l’action ;
• la perte de reconnaissance avec absence de soutien.
Dans ce dernier processus, c’est toute la question de la relation à l’autre qui est interrogée. Selon Bardot, ce troisième processus active les traumatismes les plus sévères, par l’acte subi et par la perte de sécurité.
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CHOIX DE PISTES CLINIQUES
Carole est bien la rescapée d’un vécu traumatique : confrontée à un événement ayant entraîné la mort, en proie à une peur intense et à un sentiment d’impuissance, elle a pu développer cet évitement de la pénétration dans une tentative de solution face au syndrome de répétition présent dans les états de stress posttraumatique. Cette « mémoire traumatique » est une conséquence de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui se développent face à un vécu de détresse intense : la sur-sollicitation de l’amygdale (adrénaline, cortisol) entraînant un risque vital pour l’individu, le cerveau déclenche alors une anesthésie du système émotionnel, afin de préserver l’organisme.
Cependant, cette déconnexion de l’amygdale développe un état de dissociation qui perdure et une incapacité de la mémoire autobiographique à traiter l’information. C’est chargé de l’intensité de l’émotion initiale que le souvenir réapparaît alors de manière impromptue et inévitable. La seule façon de ne pas
réactiver la mémoire traumatique est d’éviter toute situation susceptible de faire le lien avec la situation traumatique (Salmona, 2013).
L’étiologie relationnelle du vaginisme de Carole m’apparaissait évidente, même si elle était déniée dans son discours. Carole reconnaissait cependant facilement l’aspect traumatique de l’IVG, dont chaque évocation provoquait pleurs et oppression respiratoire. Face à la fonction défensive de cette fermeture vaginale, il me paraissait indispensable de tenter une réparation psychique avant toute intervention comportementale sexologique pure. Je lui ai donc proposé de travailler ce traumatisme via l’outil développé par Eric Bardot et ses collègues de l’Institut Milton Erickson de Nantes : l’HTSMA (Hypnose thérapie stratégique et mouvements alternatifs).